Antoine Depage fait sans doute partie de ces grands
personnages qui mériterait d’être mis en avant, mais dont, hélas, la plupart
d’entre nous n’a jamais entendu parler.
Antoine Depage est né à la fin du 19ème siècle.
Fils de fermier et guère enthousiaste aux études, son père le destinait à la
reprise des activités familiales. Par défi, et ayant côtoyé la famille Solvay,
Antoine Depage s’inscrivit pourtant à l’Université où, par défaut, il choisit
les études de médecine car il y avait moins d’inscrits qu’en droit. Brillant
élève, il est formé par le Docteur Paul Héger dont il épousera la nièce Marie.
Devenu chirurgien renommé, il est appelé à soigner le Roi
Léopold II qui peu avant de mourir lui demandera de se préparer à la médecine
de guerre. Respectant la demande du Roi, Antoine Depage et son épouse font
partie des médecins belges qui soigneront les blessés lors des sanglants
combats de la première guerre balkanique (qui entraînera quelques années plus
tard toute l’Europe dans la Grande Guerre). Précurseurs des médecins sans
frontière, ils tireront de ce conflit une très riche expérience qu’ils mettront
à profit sur le terrain. A l’époque, beaucoup de chirurgiens de guerre s’imaginaient
encore que grâce aux armes à feu et à la célérité des projectiles, les plaies
seront immédiatement cautérisées et que la prise en charge des blessés ne
posera aucun problème….la guerre des tranchées leur prouvera qu’ils se
trompaient lourdement.
Engagé dans la vie civile, Antoine Depage mènera un important
combat comme conseiller communal à Bruxelles. N’hésitant jamais à secouer ses
colistiers libéraux, les traitant d’ailleurs de fous lors d’un Conseil communal
car ils refusaient de se rallier à sa conception des hôpitaux publics. Cet
homme, aux convictions humanistes, lutta également pour que les infirmières
belges soient correctement formées. C’est à sa demande qu’Edith Cavell prendra
en charge la mise en place d’une école laïque d’infirmières. Cet épisode
provoqua l’ire des milieux ecclésiastiques…. Cette fonction revenant
traditionnellement aux nonnes qui selon Depage se contentaient un peu trop de
soigner le spirituel au détriment du reste.
Sénateur au lendemain de la guerre, Antoine Depage participa
activement à la réforme des services de bienfaisance, à la réforme des hospices
civils et à la mise en place de services d’assistance publique efficace et
accessible à tous.
Lorsque la guerre éclata, Antoine Depage refusa toujours de
se soumettre à l’autorité militaire. Il était chirurgien de guerre, mais pas
chirurgien de l’armée. Grâce au soutien indéfectible de la Reine Elisabeth,
Antoine Depage mettra en pratique ses acquis de la guerre balkanique avec
succès. Ce n’était ainsi pas les blessés qui devaient venir à l’hôpital, mais
l’hôpital qui devait aller à la rencontre des blessés. On assista ainsi à la
mise en place de services de chirurgie de pointe au plus près des combats. Mais, sa plus grande
réussite fut sans doute la création des hôpitaux de guerre Océan 1 et Océan 2 à
La Panne. Organisés à la perfection par Antoine Depage, ces deux hôpitaux
n’eurent aucun mal à absorber le flot continu de blessés lors des nombreuses
offensives et contre-offensives qui se déroulèrent à proximité de la Panne lors
de la Bataille de l’Yser. On estime que ce sont près de 56.000 victimes qui
furent soignées par Antoine Depage et
ses équipes entre 1914 et 1918. La réputation de Depage était telle, que
bientôt ce furent toutes les armées alliées qui envoyèrent leurs chirurgiens à
La Panne pour se former auprès de ce chirurgien belge au fichu caractère mais
qui faisait des miracles sur la table d’opération.
Les Anges Blancs de Depage
Bourru, irascible, fichu caractère…homme des bois, Antoine
Depage mis toute sa confiance dans les femmes qui l’entouraient.
En 1907, Antoine Depage décide de fonder une école
d’infirmières laïque. Il en confie la responsabilité à Edith Cavell, nurse
anglaise. Selon lui, c’est le seul moyen pour les médecins d’avoir des
assistantes réellement formées. Il est en outre choqué par la formation très
légère donnée à l’époque dans les écoles catholiques. Espionne anglaise, Edith
Cavell participe activement à la mise en place d’un vaste réseau permettant aux
soldats alliés de s’enfuir des territoires occupés pour regagner le Nord de la
France et les Pays-Bas (pays neutre à l’époque). Démasquée, Edith Cavell est
arrêtée le 5 août 1915. Condamnée à
mort le 11 Octobre, elle est fusillée le
12 octobre au matin. C’est hélas le même sort qui sera réservé à Gabrielle
Petit, cette infirmière de 23 ans qui sera passée par les armes le 1er
avril 1916
Ce drame marquera profondément Antoine Depage qui avait subi
peu de temps avant la disparition tragique de son épouse Marie Picard. Fidèle
assistante de son époux, Marie Picard partit vers les USA en vue de récolter
des fonds en faveur de la petite Belgique qui résistait vaillamment aux assauts
du géant allemand. Touchante dans ses meetings, Marie Depage permit la récolte
de sommes d’argent importantes qui autorisèrent Depage à mettre sur pied les
hôpitaux Océan 1 et 2. A son retour des
USA, le bateau emprunté par Marie Depage fut torpillé au large de l’Irlande. Il
s’agissait du Lusitania qui causa la mort d’environ 1200 personnes. Identifiée
par son époux, la dépouille mortelle de Marie Depage sera inhumée dans les
dunes à proximité de l’hôpital en
présence du Roi Albert et de la Reine Elisabeth.
La disparition de ses deux anges blancs endurcira encore un
peu plus le caractère d’Antoine Depage. Heureusement, il pourra compter sur
l’amitié et le soutien de la Reine Elisabeth, la Reine Infirmière. Celle-ci
assistera régulièrement Depage dans ses opérations… Depage n’accordera d’ailleurs
aucun régime de faveur à la Reine lors des opérations, lui faisant parfois des
remarques sur un ton sec et sévère lorsque les évènements ne se déroulaient pas
comme il le désirait dans le bloc opératoire.